Euralia souscrit pleinement à la tribune publiée dans Le Monde du 30 juin dernier intitulée « Stoppons la vision manichéenne des lobbys » et signée par plusieurs de nos confrères et enseignants en sciences politiques »
Dans une tribune au « Monde », un collectif de professionnels et d’experts du lobbying s’élève contre la dénonciation de leur activité, nécessaire à la construction de la décision publique.
Dans une tribune publiée par « Le Monde » le 19 juin 2017, le collectif Vigilobb propose de renforcer les mécanismes de transparence de la vie publique tout en s’attaquant violemment aux lobbys. Tout y est pour emporter l’adhésion populaire dans ces temps de méfiance grandissante vis-à-vis de la sphère politique : amalgame, caricature, sensationnalisme et « syndrome de Dracula ».
Nous dénonçons cette vision du lobbying qui évalue sans nuance la légitimité des acteurs, la qualité des idées et la fiabilité des informations selon l’origine de leur source. D’un côté il y aurait les intérêts secrets et inavouables des grands groupes privés, illustrés le plus souvent et à dessein par des secteurs industriels, pharmaceutiques ou chimiques liés à des scandales passés, en cours ou supputés ; d’autre part, les propositions par essence vertueuses d’organismes et de mouvements citoyens œuvrant pour l’intérêt général.
Il ne suffit pas d’être un organisme à but non lucratif, souhaitant concourir en sincérité au progrès collectif, pour garantir œuvrer pour l’intérêt général. Tous les lobbys représentent des intérêts particuliers, exprimés par des groupes plus ou moins grands de personnes physiques, réunies par des ressorts qui n’appartiennent qu’à elles et que n’importe qui a fondamentalement le droit de ne pas embrasser à titre personnel, selon sa sensibilité, ses croyances et ses priorités.Libre expression des idées
Stoppons cette vision manichéenne des lobbys, ou plutôt des « représentants d’intérêts » comme les définit l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Tous vont devoir se conformer à de nouvelles règles à partir du 1er juillet 2017. Certaines de ces obligations déclaratives existent d’ores et déjà sur base volontaire auprès de nos chambres parlementaires. De nombreux lobbys ne s’y conforment pas, certains appellent aujourd’hui à une transparence qu’ils n’ont jusqu’ici pas souhaitée eux-mêmes démontrer.
Tous ont vocation à participer activement au débat public, dont la vigueur et l’ouverture sont les meilleurs indicateurs de la qualité de notre démocratie.
Alors non, nous ne pensons pas qu’il soit sain de « construire un mur parfaitement étanche entre les intérêts privés et la décision publique ».
La démocratie naît par essence de la libre expression des idées pour peu que celles-ci soient exprimées dans le respect de règles communes d’intégrité, de transparence et d’absence de conflits d’intérêts.Echange constant, équilibré et transparent
L’institutionnalisation et l’encadrement du lobbying, au lieu de brider le débat, doit permettre un échange constant, équilibré et transparent. Nous devons collectivement combattre « l’entre soi antidémocratique » et permettre au décideur public de forger sa propre opinion et d’arbitrer en conscience dans l’intérêt général après avoir entendu la multiplicité des intérêts particuliers en présence.
Parce que la vitalité de notre démocratie vaut mieux que des postures, joignons nos efforts pour rétablir un lien de confiance entre les citoyens et leurs représentants, sans chercher de boucs émissaires pour justifier le délitement de notre contrat social. Condamnons systématiquement les pratiques illégales qui ne relèvent pas de la représentation d’intérêts, mais bien du non-respect de la loi (corruption, désinformation dans le but de tromper le décideur public, opacité volontaire sur les intérêts susceptibles d’entrer en conflit avec les fonctions publiques exercées, etc.).
Soyons dans le même temps capables d’accueillir sans jugement préconçu le renouvellement récent de nos institutions, qui a fait une large place à de nouveaux acteurs disposant d’une expérience professionnelle antérieure à l’exercice de leur mandat et qui devrait avant tout être vue comme une richesse.
Parce qu’il ne peut y avoir de présomption de culpabilité et parce qu’on ne saurait vivre dans la culture du soupçon permanent, les règles doivent être claires.Transparence
Nous serons toujours aux côtés de celles et ceux qui luttent contre les conflits d’intérêts et la formation de la décision publique dans « l’entre-soi antidémocratique ». De nombreuses propositions méritent d’être débattues : l’interdiction de pratiquer toute activité de conseil en relation avec la décision publique, y compris d’avocat, pendant l’exercice d’une fonction publique ou d’un mandat électif européen, national ou régional ; le déport obligatoire des décideurs publics dès qu’un risque de conflit d’intérêts, potentiel ou avéré, survient ; la réalisation d’un profond effort de transparence de la part des pouvoirs publics dans le processus de fabrication de la norme (consultation préalable de la société civile avant finalisation de chaque projet de texte, réalisation systématique d’études d’impact, organisation de débats et auditions contradictoires, ouverture des travaux des commissions parlementaires sur le modèle du Parlement européen, etc.).
Il est temps d’ouvrir les portes et les fenêtres des lieux de décision publique au plus grand nombre. Le lobbying doit permettre aux citoyens, aux associations, aux fondations, aux organisations professionnelles, aux syndicats, aux ONG, mais également aux entreprises (start-up, PME, grands groupes), de faire valoir leurs positions dans le cadre d’un débat contradictoire et argumenté.
Ravivons ce débat démocratique en réhabilitant le lobbying, profession technique qui attire de nombreux jeunes au sein de nos universités et grandes écoles. Exerçons une vigilance citoyenne, éthique et non manichéenne pour que les règles de transparence et d’intégrité de ce débat soient définies, diffusées et respectées par tous.
Premiers signataires : Fabrice Alexandre, directeur associé, Communication & Institutions ; Viviane de Beaufort, professeure à l’Essec ; Cécile Bernheim et Françoise Derolez, coprésidentes, Professional Women’s Network Paris ; Etienne Bodard, directeur exécutif adjoint, Arcturus Group ; Nicolas Bouvier, Partner, Brunswick ; Nicolas Castex, directeur général APCO Worldwide ; Agnès Dubois Colineau, directrice générale associée, Arcturus Group ; Bernadette Fulton, présidente, Cedap ; Véronique Ferjou, directrice générale adjointe APCO Worldwide ; Pierre-Samuel Guedj, président, Affectio Mutandi ; Sébastien Guigner, maître de conférences et directeur du master « Affaires publiques et représentation des intérêts », Sciences Po Bordeaux ; Xavier Horent, dirigeant d’un mouvement d’entrepreneurs ; Jean-Louis Kiehl, président de l’association Crésus ; Géry Lecerf, directeur des affaires publiques, professeur intervenant en affaires publiques à Sciences Po Lille ; Isabella Lenarduzzi, entrepreneur social, fondatrice de Jump ; Aristide Luneau, directeur associé, Interel ; Florence Maisel, directrice générale, Interel ; Anne Meyer-Heine, maître de conférences HDR en droit public et responsable du master 2 « Politiques européennes », Sciences Po Aix ; Alexandre de Montesquiou, directeur associé, Ai2P ; Gilles Teisseyre, président, Arcturus Group ; Steven Zunz, président, Domaines publics.
Illustration CC – Flickr Bastien Abadie