Euralia et l’Institut Goethe ont inauguré le 19 septembre dernier, sur le thème de l’Europe de l’énergie, une série de 3 petits-déjeuners débat à la veille des élections européennes. Une quarantaine de personnes étaient présentes : représentants de l’industrie, de think tanks, étudiants, chercheurs. Ils ont pu échanger avec 4 intervenants :
La diversification de l’approvisionnement énergétique entre l’Allemagne et la France illustre les difficultés des européens à s’entendre sur un même modèle de mix énergétique.
Jens Althoff, Directeur de la Heinrich-Böll-Stiftung France a expliqué que la survie des grands fournisseurs d’électricité empêche les européens de s’entendre à la fois sur les objectifs énergétiques et sur la manière de les atteindre.
Le directeur de la Heinrich-Böll-Stiftung France a ajouté que le gouvernement français investit encore massivement dans l’énergie nucléaire à cause de la situation économique d’EDF. Il estime que si la production de l’énergie se « verdit » et se décentralise, l’entreprise étatique aggravera sérieusement ses problèmes financiers. En Allemagne les défenseurs du charbon arguent que si le pays diminue la part de cette énergie fossile dans leur mix énergétique, l’Allemagne se retrouvera dépendante de la France.
Pour Jens Althoff, les investissements conséquents dans les énergies renouvelables sont le moyen de construire une politique énergétique commune.
Mechthild Wörsdörfer, Directrice à la DG énergie s’est montrée plus optimiste en expliquant que l’adoption du paquet législatif « Une énergie propre pour tous les Européens » constituera une étape cruciale. La directrice à la DG énergie a rappelé que tous les Etats membres de l’Union sont en faveur d’un marché commun d’électricité et de gaz. Ils ont également réussi à adopter des positions communes concernant les objectifs énergétiques à atteindre d’ici 2030 et 2050. Cette capacité à développer une ambition commune n’existe pas dans toutes les politiques européennes.
Mechthild Wörsdörfer a rajouté que le règlement sur la gouvernance de l’union de l’énergie constituera un véritable progrès : ce règlement prévoit que chaque Etat membre aura l’obligation d’établir et publier un plan démontrant comment leur programme permettra de réaliser leurs objectifs énergétiques.
La Commission européenne aura la responsabilité de vérifier si la somme des 27 plans permettra d’atteindre les objectifs fixés à l’échelle européenne. Cette évolution législative obligera les Etats à consulter leurs partenaires européens lors de l’élaboration de leurs politiques énergétiques. Ces nouvelles compétences de veille et de recommandation constituent pour la directrice une étape pro-européenne non-négligeable.
L’ensemble des intervenants estime que la question de l’indépendance énergétique constitue actuellement la principale entrave à l’Europe de l’énergie. Carole Mathieu, responsable des politiques européennes de l’énergie et du climat à l’IFRI, considère qu’il n’existe pas de doctrine commune sur le schéma de l’approvisionnement gazier. Le cas de Nord Stream 2 illustre parfaitement la désunion des pays européens au sujet de l’indépendance énergétique : lorsque la Commission européenne et la Pologne estiment que ce projet pérennisera l’indépendance à la Russie, l’Allemagne rétorque qu’il s’agit d’un projet servant les intérêts européens puisqu’il le passage d’un deuxième oléoduc par la mer baltique permettra de garantir l’approvisionnement gazier de l’Europe.
Carole Mathieu considère pourtant que les Européens auraient tout intérêt à développer une doctrine commune : l’Union européenne est importatrice nette de ressources énergétiques et l’ensemble de ses Etats membres partage cette situation. Les Etats européens seraient donc gagnants s’ils parlaient d’une même voix aux fournisseurs.
Carole Mathieu a tout de même ajouté une note d’optimisme en expliquant que si l’Europe n’a pas réussi à diminuer son taux de dépendance énergétique, les Etats membres ont tout de même instauré des cadres communs de prévention et de gestion des crises. Le développement d’une meilleure résilience face aux crises, en particulier relative au gaz naturel, constitue une première et timide victoire de l’Union européenne.
Christopher Fabre, chargé des Affaires institutionnelles, ENEDIS et Carole Mathieu ont rappelé que l’Europe de l’énergie ne peut exister sans une Europe de l’industrie énergétique.
Or, l’Europe semble avoir perdu la première bataille des technologies : L’industrie photovoltaïque chinoise commercialise aujourd’hui des produits beaucoup moins coûteux. Christopher Fabre a précisé que le secteur du stockage d’électricité est également dominé par l’Asie puisque la plus grande partie de la production de cellules des batteries est située en Chine.
Carole Mathieu a cependant insisté sur le fait qu’il serait défavorable à l’Europe de verser dans un protectionnisme inconséquent dans le but de protéger industrie non efficace. Mechthild Wörsdörfer a ajouté que la Commission européenne estime l’accessibilité des panneaux d’origine chinoise est plus favorable aux européens que la protection de l’industrie européenne.
Carole Mathieu a cependant relevé deux secteurs dans lesquels l’industrie européenne n’est pas encore dominée par l’Asie : l’énergie éolienne offshore et les réseaux intelligents. Ces deux secteurs devraient devenir la nouvelle bataille industrielle pour l’Europe. Les Etats européens ont pour l’instant privilégié les stratégies nationales visant à préserver leurs acteurs nationaux. La mise en concurrence de 27 politiques industrielles différentes nuit à l’intérêt européen en rendant l’Europe incapable de contrer la Chine.
Christopher Fabre considère que les réseaux intelligents détiennent le rôle clef de la révolution énergétique et doivent faire l’objet d’une coopération européenne renforcée.
Les réseaux intelligents relèvent à la fois de la transition énergétique et de la transition numérique. La consommation et la production pourront être ajustée presque en temps réelle grâce à des compteurs communicants.
Les réseaux intelligents permettront de relever le défi de l’intermittence de la production des énergies renouvelables. Leurs capacités de stockage permettront également de répondre aux enjeux de sécurité énergétique.
Christopher Fabre a expliqué que le débat public ne doit pas se focaliser sur la question du mix énergétique puisque le développement des réseaux intelligents sera le principal défi de la transition énergétique.
Le déploiement de l’électromobilité et des infrastructures de recharge des véhicules électriques vont engendrer des risques d’engorgement des réseaux. Christopher Fabre a donc insisté sur la nécessité d’anticiper la mobilité électrique en mettant en place des investissements conséquents consacrés aux réseaux de distributions.