Theresa May, la première ministre britannique, a essuyé un important revers à la Chambre des Communes le 15 janvier 2019. L’accord de retrait (le « deal ») conclu entre les négociateurs britanniques et européens en novembre 2018 (voir notre point II) et qu’elle défendait a été massivement rejeté par les parlementaires britanniques à 432 voix contre et 202 voix pour.
« Il est clair que cette chambre ne soutient pas cet accord. Mais le vote de ce soir ne nous dit rien sur ce qu’elle soutient» a-t-elle commenté une fois le résultat du vote connu.
Jeremy Corbyn, le chef du parti travailliste, a déposé une motion de censure qui sera voté ce soir et qui pourrait faire tomber le gouvernement, laissant entrevoir la tenue, non automatique, d’élections générales anticipées. En effet, débuterait au préalable d’un nouveau scrutin une période de 14 jours, pour essayer de reconfirmer le gouvernement de mai ou d’en créer un nouveau.
Si cette motion de censure est rejetée, Theresa May s’est engagée à revenir devant la Chambre des Communes avec un projet d’accord amendé lundi 21 janvier prochain, alors que les dirigeants européens ont jusqu’ici rejeté toute perspective de changement substantiel.
Ci-dessous sont développés les grands scénarios politiques qui peuvent être aujourd’hui être envisagés, les principes de l’accord de retrait trouvé le 13 novembre 2018 et les dispositions prises par les institutions en cas de « no deal ».
L’UE ne reviendra pas sur les grands principes de l’accord de retrait (voir notre point II) et toute modification de l’accord trouvé en novembre devra être marginale pour être acceptée par les 27. Si le texte, amendé en conséquence, est adopté le 21 janvier prochain, le Royaume-Uni sort de l’UE le 29 mars 2019 et une période de transition s’ouvre alors jusqu’en décembre 2020.
a. Theresa May propose de sortir du processus de sortie de l’UE – l’Article 50.
En effet, n’ayant pas de majorité pour un « deal » et le Parlement britannique étant hostile dans sa majorité à un « no deal », aucun nouvel accord, faisant consensus à la Chambre des communes et accepté avec l’UE, ne semble envisageable avant le 29 mars 2019.
Juridiquement, la chambre des communes doit cependant avaliser la « sortie » du processus de « sortie »…
b. Theresa May choisit une approche « politique » devant les électeurs britanniques
i. Elle convoque des élections générales anticipées en portant « son » deal devant le peuple britannique
Son pari : que Jeremy Corbyn fasse figure d’épouvantail.
ii. Elle organise un référendum
La question la plus probable serait entre le « deal » ou le « no deal ». Theresa May considère en effet que le vote en faveur du Brexit doit être pris en compte. Un nouveau referendum « Brexit vs Remain » nous renverrait trois ans en arrière, avec un résultat incertain.
Si une approche politique devant les électeurs britanniques est adoptée, un accord avec les Européens devra certainement être conclu pour décaler de quelques semaines la date de sortie effective du Royaume-Uni (RU), aujourd’hui au 29 mars. Le Conseil devra avaliser à l’unanimité ce report.
c. Theresa May laisse le Parlement reprendre la main sur les négociations avec les Européens
Juridiquement possible, ce scénario reste l’hypothèse la plus incertaine, le Parlement étant très divisé sur le type de Brexit à défendre – et sur le Brexit en lui-même.
Au vu des délais impartis (2 mois avant le 29 mars) et de la volonté affichée des Européens à ne pas renégocier l’accord de novembre 2018, la perspective d’un « no deal » prendrait de l’épaisseur.
Les Européens ne sont pas opposés par principe à l’idée de décaler la date de sortie effective du Royaume-Uni. Deux questions se posent toutefois :
a. Pour combien de temps ?
Les élections européennes ont lieu à la fin du mois de mai. Un report juste avant les élections est facilement envisageable.
En revanche, un report de plusieurs mois posera la question de la place des Britanniques dans l’ensemble des institutions européennes, qui sera à négocier.
b. Pourquoi faire ?
Les européens accepteront le principe d’un report si celui-ci est dû à la tenue d’un nouveau scrutin ou d’un nouveau referendum. En revanche, les 27 ne veulent pas rouvrir les négociations sur les éléments clés de l’accord trouvé en novembre.
Conclusion : la vie politique britannique regorge de surprises. D’autres hypothèses (absence de vote sur un nouveau texte lundi 21 janvier prochain, démission de Theresa May, push au sein des Tories, etc.) ne sont pas à écarter.
En ce qui concerne le Brexit en lui-même, toutes les options restent ouvertes. Il est donc nécessaire de se préparer i) au deal, ii) au no deal, iii) à l’absence de Brexit iv) à un Brexit décalé (v) à un deal renégocié à la marge.
La négociation du Brexit est séquencée en deux phases. La première concerne le retrait en lui-même, la seconde porte sur la relation future à construire entre l’UE à 27 et le Royaume-Uni. L’accord trouvé le 13 novembre 2018 concerne la première phase.
Il porte sur 4 points clés à savoir : le règlement financier qui devrait osciller entre 40 et 50 milliards d’euros à verser par le Royaume-Uni à l’UE, la protection des droits des européens vivants au Royaume-Uni et vice-versa, la période de transition entre le 30 mars et le 31 décembre 2020 ainsi que la question nord-irlandaise.
C’est sur ce dernier point que les négociations échoppaient ces derniers mois, l’enjeu étant de s’assurer que le Brexit, quelle que soit la relation future entre l’UE27 et le RU qui doit encore être négociée, n’implique pas le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, tout en assurant l’intégrité du Marché unique et du Royaume-Uni ainsi que la possibilité de divergence réglementaire.
Un « filet de sécurité » (backstop) sera activé si aucun autre dispositif n’est trouvé avant la fin de la période de transition, au 31 décembre 2020. Le backstop prévoit notamment le maintien du RU dans l’Union douanière, le respect par l’Irlande du Nord de l’essentiel de la réglementation européenne sur les biens et des contrôles sur les biens entre les Îles de Grande Bretagne et d’Irlande. Les services – dont les services financiers – ne sont pas concernés (on parle de hard Brexit pour ces activités, avec notamment la perte du passeport européen).
A noter également que la période de transition pourrait être prolongée de 2 ans, jusqu’en décembre 2022. Ses grands principes sont les suivants :
Le 13 novembre 2018, la Commission européenne a publié un plan d’action d’urgence sur les questions et domaines qui nécessiteront des mesures d’urgences en cas de no-deal. En cas d’absence d’accord, l’acquis européen ne sera en effet plus applicable au RU au soir du 29 mars.
Cette communication, assez minimaliste dans ses mesures proposées, fait le point sur les domaines où des mesures d’urgence devront être adoptées en cas de hard brexit. Elles seront adoptées de façon unilatérales et seront par nature temporaires. La Commission précise que ces mesures n’ont pas vocation à remplacer les dispositions que les différentes parties prenantes doivent prendre pour faire face à un tel scénario.
En ce qui concerne les services financiers, la compensation des dérivés semble être le point le plus épineux pour la Commission. Pour rappel, les opérateurs financiers localisés au RU ne pourront plus proposer leurs services dans le marché unique avec l’actuel passeport financier.
Plutôt confiante dans sa communication, la Commission déclare que les risques sur la stabilité financière ont beaucoup diminué.
Elle revient sur 4 sujets spécifiques :
Ces mesures prendront tout leur sens en cas de rejet de l’accord de retrait, qui dépendra vraisemblablement de l’issue du vote des parlementaires britanniques – et/ou du maintien de Theresa May à la tête du Gouvernement Tories.
Pour rappel, la Commission a publié en février dernier des notes publiées pour chaque catégorie de services financiers (banques, Asset management, Post trade services, Financial instruments…
Les autorités européennes de supervision (EBA, ESMA, EIOPA, SSM) avaient également souligné la nécessité de clarifier les attentes en matière de surveillance en cas de délocalisation des entreprises.