« Taking back control » constitua l’un des slogans phare des Brexiters. Pourtant, 18 mois après le vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE) et 9 mois après le lancement formel de la procédure de retrait, la première phase des négociations achevée en décembre dernier a surtout démontré à quel point leur conduite échappait aux Britanniques.
Le mécanisme de retrait – tel qu’exigé par les Européens – est séquencé en deux phases successives. La première porte sur le retrait en lui-même, la seconde doit permettre de définir les relations futures et, si besoin, un accord de transition. Six rounds de négociations auront donc été nécessaires pour que Britanniques et Européens s’accordent en décembre dernier sur les grands principes relatifs à la première phase, principes qui, tout en répondant à l’ensemble des exigences européennes, font porter sur les Britanniques ses ambiguïtés.
L’ambivalence du retrait à la charge des britanniques
L’accord de retrait qui clôt la première phase porte sur trois points clés. Le premier concerne les droits des citoyens européens vivant au Royaume-Uni et des Britanniques vivants dans l’UE. Aucune des lignes rouges fixées par les Européens n’a été franchie. Le texte garantit notamment que l’ensemble des droits (de résidence, de travail, de sécurité sociale, etc.) des résidents européens vivant au Royaume-Uni avant la date effective du Brexit seront maintenus et préservés. Sujet hautement symbolique outre-Manche, ces derniers seront sous la protection de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) jusqu’en … 2027. Concrètement, la CJUE restera donc en la matière « l’ultime arbitre pour l’interprétation de la loi européenne » et aura autorité sur les tribunaux britanniques pour encore une décennie.
Second point sensible, la question du « règlement financier ». Si un montant n’a pas été fixé, Européens et Britanniques se sont entendus sur la méthodologie et les éléments qui devront entrer dans le calcul, pour une somme qui pourrait avoisiner les 50 milliards d’euros. Concession symbolique, le Royaume-Uni a accepté que le calcul du règlement financier et son paiement soient effectués en euros et non en livres. Outre le symbole, l’accord fait porter sur le Royaume-Uni le risque de change.
Le troisième point de l’accord porte sur la question nord-irlandaise. Les Européens avaient comme priorité, la préservation des accords dits du Vendredi saint, signés à Belfast en 1998, qui définissent les relations actuelles entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Le texte de retrait précise que ces accords doivent être « protégés dans tous leurs aspects ». En revanche, il laisse la résolution de certaines contradictions apparentes à la charge des Britanniques.
Ainsi est-il assuré qu’il n’y aura pas de frontière physique entre l’Irlande du nord et la République d’Irlande et que, parallèlement, l’Irlande du nord « reste partie intégrante » du Royaume-Uni. De même, le texte rappelle que la République d’Irlande fait toujours partie intégrante du marché unique européen et en même temps que le marché intérieur du Royaume-Uni, qui comprend l’Irlande du Nord, doit être préservé. A noter que les principes édictés dans cet accord doivent prévaloir, quelle que soit la nature de l’accord trouvé entre l’UE et le Royaume-Uni sur les relations futures.
En d’autres termes, que le Brexit soit « soft » ou « hard », ces dispositions impliquent que les Irlandais du Nord et les marchandises venant de Belfast pourront circuler sans contrôle à la fois sur le territoire de la Grande-Bretagne et sur celui de l’UE – et donc que l’Irlande du Nord devra se soumettre, quoiqu’il arrive, à la règlementation européenne. Alors que les liens entre les deux Irlandes doivent être maintenus coûte que coûte, le texte précise que ce sera au «Royaume-Uni de faire des propositions » en cas de difficultés à concilier ces principes. Le texte va même plus loin car il stipule que le Royaume-Uni, en l’absence de solution négociée, devra maintenir un alignement total avec les règles du marché unique et de l’union douanière. A noter toutefois qu’un attendu laisse entrevoir la possibilité d’une mise en place de contrôles pour les échanges partant du territoire de Grande Bretagne vers l’Irlande du Nord, qui bénéficierait ainsi d’un régime spécial qui donne des idées aux autres peuples de la Couronne.
Et maintenant ?
Avant de formellement débuter la seconde phase des négociations, les Européens souhaitent s’assurer que les grands principes de ce premier accord seront rendus contraignants juridiquement. Le Conseil européen a par ailleurs prévu d’adopter de nouvelles lignes directrices en mars prochain mais, les précédents mandats entérinés en avril puis en décembre 2017 donnent déjà un premier aperçu des marges de manœuvre ténues dont disposeront les Britanniques.
Si les Européens ont accepté l’idée d’une période de transition, ils en ont fixé la durée maximale – le 31 décembre 2020 – et surtout les conditions. Pour conserver un accès au marché unique, le Royaume-Uni devra accepter d’appliquer les quatre libertés fondamentales de l’UE – dont la libre circulation des personnes, ainsi que l’ensemble de l’acquis européen – normes européennes, mécanismes de réglementation, de supervision, de budget, de surveillance, d’exercice du pouvoir judiciaire et de contrôle du respect des règles, le tout sous l’autorité de la CJUE. Ceci, en ayant plus de droit de regard sur les normes auxquelles le pays sera soumis.
En ce qui concerne les négociations portant sur les relations commerciales, les Etats membres n’ont pas fermé la porte à un libre accès au marché unique. Toutefois, les conditions, qui correspondent peu ou prou à celles de l’accord de transition, semblent à l’heure actuelle absolument impossible à accepter politiquement du côté britannique. Si un accord de libre échange sur le modèle UE-Canada « ++ », incluant les services est pour l’instant privilégié par ces derniers, les Européens veulent éviter toute approche secteur par secteur, facteur potentiel de divisions entre les 27. Par ailleurs, face à la menace d’un possible dumping britannique agitée par le Chancelier de l’Echiquier lui-même, ils souhaitent que l’accord contienne des « garanties face aux avantages compétitifs indus du fait de mesures et de pratiques fiscales, sociales et environnementales, et touchant à la réglementation».
En matière de services financiers, l’approche européenne est essentiellement conduite sous l’angle de la stabilité financière, que ce soit en matière de règlementation, de supervision et d’application des normes européennes. Les derniers travaux des institutions européennes sur les chambres de compensation localisées en dehors de l’UE et qui compensent en monnaies européennes montrent que l’UE n’hésitera pas à imposer si besoin l’extraterritorialité du droit européen comme condition d’un accès à son marché.
En adoptant des principes directeurs puis en laissant les équipes de la Commission européenne négocier en première ligne, les Etats membres souhaitent se prémunir de toute division interne et des petites compromissions. Les conditions édictées par les Européens ont jusqu’ici laissé peu d’espace de négociation pour les Britanniques qui devront clairement trancher, entre désirs politiques et dépendance économique.
Louis-Marie DURAND
Senior Consultant, EURALIA
Article publié dans la Lettre européenne de l’AFTI (Décembre 2017)