Tous les commentaires vont dans le même sens, depuis le Brexit: haro sur Bruxelles. Méconnaissance du fonctionnement de l’Europe ou mauvaise foi?
Depuis le 24 juin au matin, les résultats du Brexit sont désormais connus : les électeurs britanniques ont fait le choix de soutenir le camp du « Leave » au détriment de celui du « Remain ».
Une nouvelle crise s’ouvre pour l’Union européenne – qui n’en était pourtant pas dépourvue – accompagnée de nombreuses interrogations sur le projet européen en tant que tel ; interrogations légitimes, nécessaires, incontournables, même. A condition que les uns et les autres fassent preuve d’honnêteté et de responsabilité.
Las, les prises de paroles de nos responsables politiques – toutes tendances confondues – commentateurs, journalistes se suivent et se ressemblent : entre méconnaissance de l’Union européenne et de son fonctionnement, mauvaise foi et calculs politiciens plus ou moins subtils, tout ce petit monde se relaie pour dire tout le mal qu’ils pensent de « Bruxelles ». « Bruxelles » serait donc une sorte d’hydre à trois têtes, coupable de tous les maux en France, au Royaume-Uni, et plus globalement sur l’ensemble du territoire européen. « Bruxelles » déciderait seule et sans aucun contrôle de nombreuses normes – souvent inutiles – s’imposant aux Etats membres de façon uniforme. Sait-on au moins de quoi on parle ?
Pour qui connait un tant soit peu le fonctionnement des institutions européennes, tout ceci ne tient pas la route. L’Union européenne n’agit que dans le cadre d’un mandat que les Etats membres – les chefs d’Etat et de gouvernement pour être claire – lui confient, et sur leur impulsion politique. La Commission européenne propose, mais au final, le Parlement européen – élu au suffrage universel direct et le Conseil de l’UE – composé des Ministres des Etats membres – décident. La réalité, c’est que les 28 capitales – bientôt 27 ? – ont plus de poids dans la prise de décision européenne, que « Bruxelles ».
La réalité, c’est qu’en France, particulièrement, les difficultés de tout ordre – fiscal, social, sécuritaire, etc – sont systématiquement attribuées à « Bruxelles », quand bien même cette dernière ne dispose que de compétences très marginales sur ces sujets, alors que tout le crédit qui pourrait être attribué à des succès européens fait systématiquement l’objet d’une récupération – et c’est particulièrement clair pour les milliards d’euros dont la France a bénéficié au titre de la PAC (Politique Agricole Commune) ou bien d’autres financements européens sans aucune publicité sur l’origine réelle de ces fonds, faisant de la France un bénéficiaire net au budget européen pendant de nombreuses années. Dans ces conditions comment est-il envisageable de gagner la bataille de l’opinion publique ?
La réalité, c’est qu’en France, particulièrement, trop peu de personnes s’intéressent à la chose européenne, prennent le temps de l’expliquer, de l’enseigner, de la comprendre. On ne parle pas d’Europe dans les médias, où alors de façon totalement caricaturale. Dans ces conditions, comment est-il envisageable que les citoyens soient en mesure de faire un choix éclairé par rapport à l’UE ?
La réalité, c’est qu’en France, aucun responsable politique n’a pris la mesure de l’importance de la scène politique européenne et n’a mené une réelle réflexion prospective sur le sens de la construction européenne, l’intérêt que cette dernière représente pour la France et les enjeux auxquels le continent est confronté. Dans ces conditions comment est-il envisageable de formuler aujourd’hui un « nouveau » projet pour l’UE, précisément pour répondre à ces nombreux enjeux – ce que tous appellent pourtant de leurs vœux ces derniers jours ?
L’Union européenne est imparfaite, et il est évident qu’elle devra évoluer, sur le fond et sur la forme. Mais la balle n’est pas dans le camp de « Bruxelles ». Elle est dans le camp des capitales – dont Paris – qui vont devoir faire preuve de courage politique et de responsabilité si elles souhaitent que l’idée même de la construction européenne perdure. Quitte à prendre le risque de ne plus pouvoir se cacher derrière le formidable épouvantail qu’est devenu « Bruxelles »…
A la sortie du Conseil européen extraordinaire post-Brexit, Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne affirmait que «si jour après jour, on rejette toute la faute sur Bruxelles, il ne faut pas être surpris du résultat dans les urnes. »
Effectivement, il ne faut pas être surpris.
Mathilde Bonvillain-Serrault
Directrice Associée d’EURALIA
Article publié le 30/06/2016 dans le journal La Tribune